Le premier lundi du mois d’avril 1625, la petite ville de Meung semblait en révolution. À l’hôtellerie du Franc Meunier, un groupe de curieux grossissait de minute en minute
En ce temps-là les paniques étaient fréquentes. Il y avait les seigneurs qui se battaient entre eux ; il y avait le roi qui faisait la guerre au cardinal et les Espagnols qui faisaient la guerre au roi.
Mais ici, rien de tout cela. Figurez-vous un jeune homme de dix-huit ans, au visage long et brun, les mâchoires très développées, le nez crochu. Il portait un béret orné d’une espèce de plume. Sa longue épée lui battait les mollets quand il était à pied, et le poil de sa monture quand il était à cheval.
Car il avait un cheval : c’était un bidet du Béarn, âgé de douze ou quatorze ans, jaune de robe, sans crins à la queue, et qui marchait la tête plus bas que les genoux. C'est ce bidet qui faisait sensation!
Le jeune d’Artagnan (c'est ainsi que s’appelait ce garçon) savait que ce cheval le rendait ridicule. Mais c'était un cadeau de son père.
«Mon fils, avait dit le père, n'oubliez pas que vous êtes noble et gentilhomme : à la cour du Roi, cela vous donne des droits. Vous êtes jeune, je vous ai fait apprendre à manier l’épée ; battez-vous, même si les duels sont défendus. M. de Tréville, qui était mon voisin autrefois, s'est battu lui aussi pour arriver. Il est maintenant capitaine des mousquetaires, et gagne dix mille écus par an. Allez le voir avec cette lettre, et suivez son exemple.»
1
Le jeune homme se mit donc en route, avec les trois cadeaux paternels : quinze écus, un cheval et la lettre pour M. de Tréville. Le bidet jaune faisait sourire plus d'un passant. Mais au-dessus du bidet sonnait une épée de belle taille. D’Artagnan demeura donc intact jusqu’à cette malheureuse ville de Meung.
Comme il descendait de cheval à la porte du Franc Meunier il vit à une fenêtre du rez-de-chaussée un gentilhomme de belle taille. Il causait avec deux personnes qui l’écoutaient respectueusement. D’Artagnan s'imagina qu'on parlait de lui. Il n'avait pas tort : il s'agissait de son cheval. Le gentilhomme paraissait le décrire et les autres personnes éclataient de rire à tout moment.
L'homme, de quarante à quarante-cinq ans, avait des yeux noirs et perçants, le teint pâle, la moustache noire. Il portait des vêtements violets presque neufs, mais froissés. À un moment, il dit quelque chose, et ses compagnons se mirent à rire de plus belle. Cette fois, il n’y avait plus de doute, d’Artagnan était insulté. Il enfonça son béret sur ses yeux, et s’avança, une main sur la garde de son épée.
«Eh! Monsieur, s’écria-t-il, monsieur, qui vous cachez derrière ce volet! Oui, vous, dites-moi donc un peu de quoi vous riez, et nous rirons ensemble.»
Le gentilhomme ramena lentement les yeux du cheval au cavalier, et répondit :
«Je ne vous parle pas, monsieur.
–Mais je vous parle, moi! s’écria le jeune homme irrité par l'air supérieur de l'homme en violet. Celui qui rit du cheval oserait-il rire du maître?»
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Et d’Artagnan, tira son épée à moitié hors du fourreau.
«Je ne ris pas souvent, monsieur, reprit l’inconnu, seulement quand je le décide!»
Et tournant sur ses talons, il s’apprêta à rentrer dans l’hôtellerie par la grande porte. Mais le jeune Gascon se mit à sa poursuite en criant :
«Tournez-vous, tournez-vous donc, monsieur le comique, que je ne vous frappe point par-derrière.
–Me frapper, moi! dit l’autre en pivotant sur ses talons. Allons donc, mon cher, vous êtes fou!»
Il finissait à peine ces mots que d’Artagnan lui allongea un furieux coup de pointe. Si l'homme n'avait pas fait vivement un bond en arrière, cela aurait été sa dernière plaisanterie. Il vit alors que la chose devenait sérieuse. Il tira son épée et se mit en garde.
Mais au même moment ses deux amis tombèrent sur d’Artagnan à grands coups de bâtons. Cela fut si efficace que le gentilhomme rengaina son épée. Il devenait spectateur. Enfin, il ordonna :
«La peste soit des Gascons! Remettez-le sur son cheval orange, et qu’il s’en aille!
–Pas avant de t’avoir tué, lâche!
–Continuez donc la danse, poursuivit l'homme en violet! Quand il sera fatigué il le dira.»
Bientôt d’Artagnan, épuisé, laissa échapper son épée qu’un coup de bâton brisa en deux morceaux. Un autre coup, qui lui entama le front, le renversa presque en même temps tout sanglant et presque évanoui. Le patron, aidé de deux garçons, emporta le blessé dans la cuisine où on lui donna quelques soins.
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Un peu plus tard, dans la pièce du haut, d’Artagnan réussit à se lever. Mais la première chose qu’il vit dehors fut l'homme en violet. Celui-ci causait tranquillement au marchepied d’un lourd carrosse.
Il s'adressait à une femme de vingt à vingt-deux ans, jeune et belle. Elle avait de longs cheveux blonds tombant sur ses épaules, de grands yeux bleus. Elle causait très vivement avec l’inconnu.
«Ainsi, Son Éminence m’ordonne… disait la dame.
–De retourner à l’instant même en Angleterre, et de le prévenir directement si le duc quittait Londres.
–Très bien ; et vous, que faites-vous?
–Moi, je retourne à Paris.»
D’Artagnan, qui avait tout entendu, s'avança vers l'homme en violet. Trop tard! Il s'était élancé sur son cheval! Le carrosse de la femme partit au même moment, en sens opposé.
«Ah! lâche, ah! misérable! cria d’Artagnan s’élançant à son tour après le fuyard.
Mais il était trop faible encore pour supporter une pareille secousse. Il avait à peine fait dix pas que ses oreilles tintèrent, et qu'un éblouissement le prit. Et il s’évanouit une seconde fois.
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Le lendemain, dès cinq heures du matin, d’Artagnan se leva, et descendit lui-même à la cuisine. Au moment de payer, il ne trouva dans sa poche que sa petite bourse avec onze écus. La lettre adressée à M. de Tréville, elle, avait disparu!
Il commença par la chercher patiemment, tournant et retournant vingt fois ses poches, fouillant dans son sac, ouvrant et refermant sa bourse. Lorsqu’il fut sûr que la lettre était introuvable, il entra dans un troisième accès de rage.
«Ma lettre de recommandation! s’écria d’Artagnan, ma lettre de recommandation, sangdieu! ou je vous embroche tous!»
Une idée frappa tout à coup l’esprit de l’aubergiste.
«Attendez! Je parie que le gentilhomme d’hier vous l'a prise. Il est descendu à la cuisine, où était votre habit et il y est resté seul un bon moment.»
D'Artagnan donna deux écus à l’hôte, qui l’accompagna, le chapeau à la main, jusqu’à la porte. Puis il remonta sur son cheval jaune qui le conduisit sans incident jusqu’à Paris.
Là, il tira trois écus de la vente de son cheval et entra dans Paris à pied, avec son petit paquet sous son bras. Il finit par trouver à louer une chambre bien simple, près du Luxembourg. Il passa le reste de la journée à recoudre ses vêtements, puis il alla au quai de la Ferraille, pour faire remettre une lame à son épée. Après quoi, il se coucha et s’endormit du sommeil du brave.
Il se leva à neuf heures pour se rendre chez ce fameux M. de Tréville, le troisième personnage du royaume d’après ce qu'avait dit son père.
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M. de Tréville avait vraiment commencé sa carrière comme d’Artagnan, c’est-à-dire sans un sou. Mais son audace, son courage avaient fait sa fortune. Il était l'ami du roi. Il faut dire que leurs pères avaient combattu ensemble! Louis XIII fit alors de Tréville le capitaine de ses mousquetaires, une troupe dévouée, prête à mourir pour le souverain.
Le cardinal de Richelieu avait lui-même sa propre garde. Quand le roi et lui faisaient chaque soir leur partie d'échecs, chacun vantait le mérite de ses propres serviteurs. Les duels étaient interdits, certes! Mais les querelles entre les deux troupes n'étaient pas rares.
Les mousquetaires étaient disciplinés au service. Mais en dehors, quels joyeux débraillés! Souvent ivres dans les cabarets, criant fort en public, dégainant en pleine rue contre ceux du cardinal. Tréville leur pardonnait tout. Eux, ils l'adoraient. Prêts à se faire tuer sur son ordre, ils lui obéissaient aveuglément.
La cour de son hôtel, situé rue du Vieux-Colombier, ressemblait à un camp, et cela dès six heures du matin en été et dès huit heures en hiver. Cinquante à soixante mousquetaires, s’y promenaient sans cesse, armés et prêts à tout. Le long d’un de ses grands escaliers montaient et descendaient des demandeurs de toute sorte. Des valets de toutes les couleurs apportaient les messages de leurs maîtres. M. de Tréville, dans son bureau recevait les visites, écoutait les plaintes, donnait ses ordres.
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Sur le palier, on racontait des histoires de femmes. On parlait aussi du cardinal et d'Artagnan fut choqué : ce grand homme servait de moquerie aux mousquetaires de M. de Tréville.
D’Artagnan n’osait participer à la conversation. Un valet vint lui demander ce qu’il désirait. D’Artagnan se nomma alors fort simplement, et dit qu'il voulait un entretien avec M. de Tréville. On lui dit … de continuer d'attendre! Il eut donc le temps d’étudier un peu les costumes et les visages.
Au centre du groupe le plus animé était un mousquetaire de grande taille, vêtu d’un costume bizarre qui attirait sur lui l’attention. Il ne portait pas la tenue d’uniforme, mais un justaucorps bleu de ciel, et un baudrier magnifique, en broderies d’or, auquel pendait une gigantesque épée. Il frisait fièrement sa moustache, et tous admiraient le baudrier brodé.
«Que voulez-vous, disait le mousquetaire, c’est une folie, je le sais bien, mais c’est la mode. D’ailleurs, il faut bien employer l’argent de la famille.
–Ah! Porthos! s’écria une des personnes, n’essaie pas de nous faire croire que ce baudrier te vient de là! Je t'ai rencontré avec une certaine dame l’autre dimanche vers la porte Saint-Honoré.
–Mais non, et la preuve c’est que je l’ai payé douze pistoles. N’est-ce pas, Aramis?» dit Porthos se tournant vers un autre mousquetaire.
Celui-ci était le contraire du précédent : un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans à peine, à l’œil noir et doux et aux joues roses. Sa moustache dessinait une ligne fine et parfaite. Il parlait peu et lentement, saluait beaucoup, riait sans bruit.
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Il répondit à son ami par un signe de tête affirmatif. Cela parut convaincre tout le monde et la conversation passa tout à coup à un autre sujet. On parlait maintenant de la reine qui n'avait toujours pas d'enfant.
–Grâce à Dieu, dit Porthos, la reine est encore en âge…
–On dit justement que M. de Buckingham est en France, reprit Aramis avec un rire malicieux.
–Aramis, mon ami, pour cette fois vous allez trop loin, interrompit Porthos! Et si M. de Tréville vous entendait…
–M. de Tréville attend M. d’Artagnan», interrompit un laquais en ouvrant la porte du cabinet.
À cette annonce, chacun se tut, et au milieu du silence général le jeune Gascon traversa une partie de l’antichambre et entra chez le capitaine des mousquetaires.
M. de Tréville était pour le moment de mauvaise humeur ; pourtant il sourit en entendant l’accent de son pays qui lui rappelait sa jeunesse. Mais il demanda à d’Artagnan de patienter d’abord. Sortant du bureau, il appela trois fois, en grossissant la voix :
«Athos! Porthos! Aramis!»
Les mousquetaires s’avancèrent dans la pièce. M. de Tréville silencieux et le sourcil froncé, regarda sévèrement les hommes des pieds à la tête.
«Savez-vous ce que m’a dit le roi, s’écria-t-il, et cela pas plus tard qu’hier au soir? Le savez-vous, messieurs? Il m’a dit qu’il prendrait désormais ses mousquetaires parmi les gardes de M. le cardinal!
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–Parmi les gardes de M. le cardinal! Et pourquoi cela? demanda vivement Porthos.
–Parce que les mousquetaires ont mauvaise réputation à la cour. Certains s’attardent dans les cabarets, et hier une ronde des gardes du cardinal a été obligée de les arrêter pour tapage! Vous en étiez, vous autres, ne vous en défendez pas, on vous a reconnus.
Chacun se retira… excepté d’Artagnan, qui n’oubliait point qu’il avait audience!
«Pardon lui dit M. de Tréville en souriant, je vous avais parfaitement oublié. J’ai beaucoup aimé monsieur votre père, vous savez! Que puis-je faire pour son fils?
–Monsieur, dit d’Artagnan, en venant ici, je voulais vous demander une casaque de mousquetaire ; mais, après tout ce que je vois depuis deux heures, je comprends que ce serait trop! J'ai peur de ne pas la mériter.
–C’est un honneur en effet, jeune homme, répondit M. de Tréville. Vous devez avoir besoin de vous perfectionner dans les exercices qui conviennent à un gentilhomme. Je vais écrire une lettre au directeur de l’académie royale, et dès demain il vous recevra gratuitement. Vous apprendrez le manège du cheval, l’escrime et la danse ; vous y ferez de bonnes connaissances.»
D’Artagnan avait espéré mieux!
«Hélas, monsieur, dit-il, je vois combien la lettre de recommandation de mon père me manque aujourd’hui!
–En effet, répondit M. de Tréville. J’aurais ainsi été plus sûr de…
–Je l’avais, monsieur, mais on me l’a dérobée.»
Et il raconta toute la scène de Meung, décrivit le gentilhomme inconnu dans ses moindres détails.
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«Voilà qui est étrange, dit M de Tréville en méditant. Ce gentilhomme n’avait-il pas une légère cicatrice à la tempe?
–Oui, comme le ferait l’éraflure d’une balle. Ah! si jamais je le retrouve, et je le retrouverai, je vous le jure, même en enfer…
–Vous ne savez pas quel était le sujet de la conversation avec cette femme?
–Il lui remettait une boîte, lui disait que cette boîte contenait ses instructions, et lui recommandait de ne l’ouvrir qu’à Londres.
–C’est lui! murmura Tréville, c’est lui! je le croyais encore à Bruxelles!»
M de Tréville resta alors silencieux
D’Artagnan, qui n’avait rien de mieux à faire, se mit à regarder dans la cour. M. de Tréville, après avoir fini la lettre, la cacheta et s’approcha du jeune homme pour la lui donner ; mais il fut bien étonné de voir son protégé faire un bond, rougir de colère et s’élancer hors du cabinet en criant :
«Ah! sangdieu! Il ne m’échappera pas, cette fois.
–Et qui cela? demanda M. de Tréville.
–Lui, mon voleur! répondit d’Artagnan. Ah! traître!»
Et il disparut.
«Diable de fou! murmura M. de Tréville.»
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D’Artagnan, furieux, s’élança dans l’escalier. Mais emporté par sa course, il alla donner tête baissée dans un mousquetaire et le heurta violemment à l’épaule. L'homme poussa un hurlement.
«Excusez-moi, dit d’Artagnan, essayant de reprendre sa course, excusez-moi, je suis pressé.»
Mais un poignet de fer le saisit par son écharpe et l’arrêta.
«Vous êtes pressé! s’écria le mousquetaire, pâle comme un mort. Vous me heurtez, vous dites : “Excusez-moi”, et vous croyez que cela suffit?
–Ma foi, répliqua d’Artagnan, qui reconnut Athos, ma foi, je ne l’ai pas fait exprès, j’ai dit : “Excusez-moi.” Il me semble donc que c’est assez.
–Monsieur, dit Athos en le lâchant, vous n’êtes pas poli. On voit que vous venez de loin.»
D’Artagnan avait déjà enjambé trois ou quatre marches, mais à la remarque d’Athos il s’arrêta court.
«Morbleu, monsieur! dit-il. Je viens de loin peut-être ; mais ce n’est pas vous qui me donnerez une leçon de belles manières, je vous préviens. Si je n’étais pas si pressé…
–Monsieur l’homme pressé, vous me trouverez sans courir, moi, entendez-vous?
–Et où cela, s’il vous plaît?
–Près des Carmes-Deschaux.
–À quelle heure?
–Vers midi.
–Vers midi, c’est bien, j’y serai.»
Et il se mit à courir comme si le diable l’emportait, espérant retrouver encore son inconnu.
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À la porte de la rue, Porthos causait avec un ami mousquetaire. Entre les deux, il y avait juste l’espace d’un homme. D’Artagnan s’élança pour y passer comme une flèche, mais il avait compté sans le vent. Une rafale gonfla tout à coup le long manteau de Porthos, et d’Artagnan vint donner droit dedans. Porthos tira alors le manteau à lui, de sorte que d’Artagnan se trouva enroulé, le nez collé dans le dos du mousquetaire.
«Vertubleu! cria Porthos faisant tous ses efforts pour se débarrasser de d’Artagnan, vous êtes donc enragé de vous jeter comme cela sur les gens!
–Excusez-moi, dit d’Artagnan reparaissant sous l’épaule du géant, mais je suis très pressé, je cours après quelqu’un, et…
–Est-ce que vous oubliez vos yeux quand vous courez? En tous cas, vous vous ferez rosser, je vous en préviens, si vous vous frottez ainsi aux mousquetaires.
Le jeune homme s’éloigna en riant. Porthos voyant cela se mit en rage et voulut se précipiter sur d’Artagnan.
«Plus tard, plus tard, lui cria celui-ci, quand vous n’aurez plus votre manteau.
–À une heure donc, derrière le Luxembourg.
–Très bien, à une heure», répondit d’Artagnan en tournant l’angle de la rue.
Il était trop tard! Dans la rue, en sortant de la cour, l'homme avait disparu. Il s’informa auprès de tous ceux qu’il rencontra : rien, absolument rien. Il se mit alors à réfléchir sur ce qui venait de se passer : il était onze heures du matin à peine, et déjà il avait sans doute déplu à M. de Tréville : il l'avait quitté de manière bien impolie.
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Surtout, il avait ramassé deux bons duels avec deux hommes capables de tuer chacun trois d’Artagnan. Avec deux mousquetaires enfin, les personnes qu’il mettait, dans sa pensée, au-dessus de tous les autres hommes.
«Quel étourdi je suis! Allons, d’Artagnan mon ami, continua-t-il, si tu en réchappes, il s’agit d’être à l’avenir parfaitement poli. Prends modèle sur Aramis, qui est la douceur même. Ah! justement le voici.»
Ce dernier causait gaiement avec trois gentilshommes des gardes du roi. De son côté, Aramis aperçut d’Artagnan mais il fit semblant de ne pas le voir. D’Artagnan, tout plein de son désir de politesse, s’approcha des quatre jeunes gens en leur faisant un grand salut. Tous quatre arrêtèrent à l’instant même leur conversation.
D’Artagnan, vexé, comprit qu’il était de trop. Il remarqua qu’Aramis avait laissé tomber son mouchoir et, sans le vouloir sans doute, avait mis le pied dessus ; il se baissa, et de l’air le plus aimable, il tira l'objet de dessous le pied du mousquetaire. Il lui dit en le lui remettant :
«Monsieur, vous avez perdu ceci.»
Le mouchoir était richement brodé et portait une couronne à l’un de ses coins.
«Ah! Ah! s’écria un des gardes, diras-tu encore que tu es mal avec Mme de Bois-Tracy? C’est bien un de ses mouchoirs que je vois là»
Aramis lança à d’Artagnan un regard furieux ; puis reprenant son air sucré :
«Vous vous trompez, dit-il, ce mouchoir n’est pas à moi.
–Eh bien, vous avez menti, je l'ai vu sortir de votre poche!
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–Ah! vous le prenez sur ce ton, monsieur le Gascon! Eh bien, je vous apprendrai à vivre.
–Et moi je vous renverrai à vos amours! Dégainez, s’il vous plaît, et à l’instant même.
–Mon bel ami, ne voyez-vous pas que nous sommes en public? Il y a ici probablement des créatures du cardinal! Je veux vous tuer, soyez tranquille, mais ailleurs! De plus maintenant j'ai à faire! À deux heures, je vous attendrai ici même, et je vous indiquerai le bon endroit.»
Les deux jeunes gens se saluèrent, puis Aramis s’éloigna en remontant la rue qui menait au Luxembourg.
Un peu plus tard voyant que l’heure avançait, il prit le chemin des Carmes-Deschaux. Il se disait à part soi :
«Décidément, je n’en puis pas revenir ; trois duels en deux heures! Mais au moins, si je suis tué, ce sera par un mousquetaire.»
D’Artagnan ne connaissait personne à Paris. Il alla donc au rendez-vous d’Athos. C'était près du couvent des Carmes-Deschaux, un bâtiment sans fenêtres, bordé de prés. Il servait aux rencontres des gens qui n’avaient pas de temps à perdre.
Lorsqu'il arriva, Athos attendait depuis cinq minutes. «Monsieur, dit-il, j’ai fait prévenir deux de mes amis qui me serviront de seconds, ils vont bientôt arriver.
En effet, au bout de la rue de Vaugirard commençait à apparaître le gigantesque Porthos.
«Quoi! s’écria d’Artagnan, votre premier témoin est M. Porthos?
–Oui, et voici le second.»
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D’Artagnan montra encore sa surprise en reconnaissant Aramis qui venait du Boulevard Saint-Germain.
«Ne savez-vous pas qu’on ne nous voit jamais l’un sans l’autre, et qu’on nous appelle les trois inséparables?»
Pendant ce temps, Porthos s’était rapproché, avait salué de la main Athos ; se retournant vers d’Artagnan, il était resté tout étonné.
«Ah! ah! fit-il, qu’est-ce que cela?
–C’est avec monsieur que je me bats, dit Athos en montrant de la main d’Artagnan.
–C’est avec lui que je me bats aussi, dit Porthos.
–Mais à une heure seulement, répondit d’Artagnan.
–Et moi aussi, mais à deux heures, poursuivit Aramis.
–Mais à propos, pourquoi te bats-tu, toi, Athos? demanda Aramis.
–Ma foi, je ne sais pas trop, il m’a fait mal à l’épaule ; et toi, Porthos?
–Ma foi, je me bats parce que je me bats, répondit Porthos en rougissant.
–Et toi, Aramis? demanda Athos.
–Moi, je me bats pour cause… de religion.
–Et maintenant que vous êtes rassemblés, messieurs, dit d’Artagnan… en garde!»
Il était midi et un quart. Le soleil était au plus haut.
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Les deux épées avaient à peine résonné en se touchant qu’un groupe de gardes, commandé par M. de Jussac, se montra à l’angle du couvent.
«Les gardes du cardinal! s’écrièrent à la fois Porthos et Aramis. L’épée au fourreau, messieurs! l’épée au fourreau!»
Mais il était trop tard. Les deux combattants avaient été vus dans une attitude assez claire.
«Holà! cria Jussac en s’avançant vers eux, holà mousquetaires, on se bat donc ici? Et la loi, qu’en faisons-nous? Rengainez donc, s’il vous plaît, et suivez-nous!
–Monsieur, dit Aramis, malheureusement la chose est impossible : M. de Tréville nous l’a défendu. Allez-vous en, c’est ce que vous avez de mieux à faire.»
Cette moquerie mit Jussac en colère.
«Nous vous y forcerons donc, dit-il, si vous désobéissez.
–Ils sont cinq, dit Athos à demi voix, et nous ne sommes que trois. Il nous faudra mourir ici, car je ne me rendrai pas!»
Mais d’Artagnan protestait :
«Messieurs, dit-il, excusez-moi! Vous avez dit que vous n’étiez que trois, mais il me semble que nous sommes quatre.
–Mais vous n’êtes pas des nôtres, dit Porthos.
–C’est vrai, répondit d’Artagnan ; mais mon cœur est mousquetaire! Essayez-moi toujours, dit-il.
–Comment vous appelle-t-on, mon brave? dit Athos.
–D’Artagnan, monsieur.
–Eh bien, Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan, en avant! cria Athos.»
Et les neuf combattants se précipitèrent les uns sur les autres avec furie.
16
Athos avait pris un certain Cahusac, familier du cardinal ; Porthos eut Biscarat, et Aramis faisait face à deux adversaires.
Quant à d’Artagnan, il se trouva lancé contre Jussac lui-même. Le cœur du jeune Gascon battait à lui briser la poitrine, mais pas de peur! Il luttait comme un tigre en fureur, tournant dix fois autour de son adversaire, changeant vingt fois de méthode. Jussac était un duelliste très expérimenté. Mais il avait toutes les peines du monde à se défendre. Il finit par perdre patience, furieux d’être tenu en échec par un gamin : il commença à faire des fautes. Voulant en finir, il porta un coup terrible en se fendant à fond ; mais d'Artagnan se glissant comme un serpent sous son fer, lui passa son épée au travers du corps. Jussac tomba comme une masse.
D’Artagnan jeta alors un coup d’œil inquiet et rapide sur le champ de bataille.
Aramis avait déjà tué un de ses adversaires ; mais l’autre le pressait vivement. Porthos avait reçu un coup d’épée au travers du bras, et son adversaire au travers de la cuisse. Athos, blessé de nouveau par Cahusac, pâlissait à vue d’œil, mais il ne reculait pas d’une semelle : il avait seulement changé son épée de main, et se battait de la main gauche.
D’Artagnan, selon les lois du duel de cette époque, pouvait aider quelqu’un ; il fit un bond terrible et tomba sur le flanc de Cahusac en criant :
«À moi, monsieur le garde, je vous tue!»
Cahusac se retourna ; il était temps. Athos tomba sur un genou.
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«Sangdieu! cria-t-il à d’Artagnan, ne le tuez pas, jeune homme, j’ai une vieille affaire avec lui. Désarmez-le seulement, et …»
À peine ces mots prononcés, l’épée de Cahusac sautait à vingt pas de lui. Les deux adversaires s’élancèrent ensemble, mais sur le chemin, Cahusac rencontra Athos et quelques secondes après, il tomba la gorge traversée d’un coup d’épée.
Au même instant, Aramis appuyait son épée contre la poitrine de son adversaire renversé, et le forçait à demander grâce.
Restaient Porthos et Biscarat. Il fallait en finir. Athos, Aramis et d’Artagnan entourèrent Biscarat et le sommèrent de se rendre. Mais seul contre tous, Biscarat voulait tenir. Alors Jussac, mourant, qui s’était levé sur son coude, lui cria de se rendre.
«Ah! si tu l’ordonnes, dit Biscarat, je dois obéir.»
Faisant un bond en arrière, il cassa son épée sur son genou, en jeta les morceaux pardessus le mur du couvent, et se croisa les bras en sifflant un air.
Le courage est toujours respecté, même chez un ennemi. Les mousquetaires saluèrent Biscarat de leurs épées et les remirent au fourreau. On porta les blessés sous le porche du couvent et l'on sonna la cloche. Puis les quatre amis se dirigèrent ivres de joie vers l’hôtel de M. de Tréville. On les voyait entrelacés, tenant toute la largeur de la rue, et abordant chaque mousquetaire qu’ils rencontraient, si bien qu’à la fin ce fut une marche triomphale. Le cœur de d’Artagnan nageait dans le bonheur, il marchait entre Athos et Porthos en les serrant tendrement.
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L’affaire fit grand bruit. M de Tréville gronda beaucoup tout haut contre ses mousquetaires, et les félicita tout bas! Mais il fallait prévenir le roi, et il s'empressa se rendre au Louvre.
Le roi était au jeu de cartes. Il quitta la partie et marcha avec M de Tréville vers l’embrasure d’une fenêtre :
«Eh bien, monsieur, continua-t-il, vous êtes sûr que ce sont les gardes du cardinal qui ont été leur chercher querelle?
–Oui, Sire, comme toujours.
–Et comment la chose est-elle venue, voyons? Oh, et l'on me dit qu'il y avait avec eux un enfant?
–Oui, Sire, et un homme blessé.
–Ainsi trois mousquetaires du roi, dont un blessé, et un enfant, ont porté quatre gardes à terre et désarmé le cinquième! Mais c’est une victoire, cela! s’écria le roi tout rayonnant! Amenez-les moi demain tous les quatre ensemble. Je veux les remercier tous à la fois.»
Le cardinal, comme l’avait dit Sa Majesté, fut effectivement furieux, et si furieux que pendant huit jours il bouda le roi. Celui-ci cependant, continuait à lui faire bonne mine, et toutes les fois qu’il le rencontrait, il lui demandait de sa voix la plus caressante :
«Eh bien, monsieur le cardinal, comment va ce pauvre Jussac?»
19
D’Artagnan, qui n'était pas encore mousquetaire, tenait compagnie à ses amis qui étaient de garde. M. de Tréville parlait souvent de lui au roi. Aussi le jeune homme entra dans les gardes de M. le chevalier des Essarts.
Mais nos quatre compagnons étaient sans le sou. On vit les affamés se faire inviter, ou même leurs laquais ramasser chez leurs amis des restes de repas à droite et à gauche.
Un jour, d'Artagnan entendit frapper doucement à la porte. Il réveilla Planchet, un Picard qu'il avait embauché comme valet, et lui ordonna d’aller ouvrir. Un homme fut introduit, de mine assez simple.
«J’ai entendu parler de vous comme d’un jeune homme fort brave, dit le bourgeois, et cela m’a décidé à vous parler!
–Parlez, monsieur, parlez, dit d’Artagnan, qui sentit tout de suite quelque chose d’intéressant à venir.
–Ma femme est lingère chez la reine, monsieur. Elle a été enlevée ce matin, comme elle sortait de sa chambre de travail.
–Et par qui?
–Je n’en sais rien sûrement, monsieur, mais je soupçonne quelqu’un… Un homme qui la poursuivait depuis longtemps. Je crois qu’il y a une histoire politique dans tout cela.»
L'homme hésita un moment, puis des explications arrivèrent enfin..
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«Ma femme m’a confié que la reine, en ce moment-ci, avait de grandes craintes. M. le cardinal la persécute plus que jamais. Elle pense qu’on a écrit à M. le duc de Buckingham en son nom.
–Au nom de la reine?
–Oui, pour le faire venir à Paris pour l’attirer dans un piège.
–Et l’homme qui l’a enlevée, le connaissez-vous?
–Je ne sais pas son nom, foi de Bonacieux.
–Vous vous appelez Bonacieux? interrompit d’Artagnan. Ce nom ne m’est pas inconnu.
–C’est possible, monsieur. Je suis votre propriétaire… et depuis trois mois que vous êtes chez moi, vous avez oublié de me payer mon loyer! Vous êtes trop occupé sans doute!
–Euh… Achevez donc ce que vous avez commencé à me dire.
–J’ai pensé à vous pour m'aider à retrouver ma femme… Et puis, comme vous me devez trois mois de loyer dont je ne vous ai jamais parlé… et comme vous voulez sans doute rester chez moi…
–Oui, oui, je trouve cette raison excellente.
–Et ajoutez à cela, une cinquantaine de pistoles pour votre peine…
–À merveille ; j'accepte»
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Quelque temps plus tard, Athos et Porthos étaient arrivés chez d'Artagnan qui leur raconta la peur de Bonacieux, et la disparition de sa femme. Puis, comme son laquais passait la tête par la porte entrebâillée…
«Planchet, descendez chez mon propriétaire, et dites-lui de nous envoyer une demi-douzaine de bouteilles de vin de Beaugency : c’est celui que je préfère.
–Ah çà, votre propriétaire est donc bien généreux? demanda Porthos.
–Oui, répondit d’Artagnan, à partir d’aujourd’hui. Et si son vin est mauvais, nous lui en demanderons un autre.
–Parlons de lui, justement dit Athos. Les cinquante pistoles promises valent-elles la peine de risquer quatre têtes?
–Holà, attention, s’écria d’Artagnan, il y a une femme dans cette affaire. Une femme enlevée! Une femme qu’on torture peut-être. Et tout cela parce qu’elle est fidèle à sa maîtresse, la reine!»
Et il ajouta :
«Et pensez aussi à la reine, que le roi abandonne, que le cardinal persécute.
–Pourquoi aime-t-elle ce que nous détestons le plus au monde, les Espagnols et les Anglais?
–L’Espagne est sa patrie, répondit d’Artagnan… Et d'après ce que je sais, elle aime non pas les Anglais… mais un Anglais.
–Eh! ma foi, dit Athos, cela se comprend! Je n’ai jamais vu un plus bel homme que lui. Et donc, Bonacieux vous a dit qu’on avait fait venir Buckingham à Paris, avec une fausse lettre de la reine?
–En tous cas la reine le croit! Mais ne perdons pas notre temps! Cherchons la femme de Bonacieux, c’est la clef de l’histoire.»
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À ce moment, un bruit de pas précipité retentit dans l’escalier, la porte s’ouvrit avec fracas, et le malheureux Bonacieux s’élança dans la chambre où se tenait le conseil.
«Ah! messieurs, s’écria-t-il, sauvez-moi, au nom du Ciel, sauvez-moi! Il y a quatre hommes qui viennent pour m’arrêter!»
Les quatre gardes apparurent à la porte et voyant quatre mousquetaires ils hésitèrent à aller plus loin.
«Entrez, messieurs, entrez, cria d’Artagnan ; vous êtes ici chez moi.
–Nous devons nous saisir de cet homme!
–Messieurs, faites votre devoir!
–Mais vous m’avez promis…» dit tout bas le pauvre mercier.
Les gardes, en remerciant, emmenèrent leur prisonnier.
Porthos fit de vifs reproches à d'Artagnan : il avait trahi cet homme qui demandait du secours
«C'est exprès, dit d'Artagnan, j'ai mon idée. Et maintenant, messieurs, sans se donner la peine de mieux expliquer sa conduite, "tous pour un, un pour tous", c’est notre devise, n’est-ce pas?
–Cependant… dit Porthos.
–Étends la main et jure! s’écrièrent à la fois Athos et Aramis.
–Tous pour un, un pour tous.»
23
D’Artagnan habitait juste au-dessus du ménage Bonacieux. Mais il avait une entrée à lui, par un escalier extérieur. Après l'arrestation de Bonacieux, il ne bougea pas de chez lui. Il avait enlevé quelques carreaux du sol et creusé son plancher. Ainsi, il entendait tout ce qui se passait dessous! Des hommes du cardinal campaient dans l'appartement pour capturer tous ceux qui se présenteraient. Quand ils prenaient quelqu'un, ils lui demandaient :
«Mme Bonacieux vous a-t-elle remis quelque chose pour son mari ou une autre personne? Et M. Bonacieux? Vous ont-ils fait des confidences?»
«Ils veulent savoir si le duc de Buckingham est à Paris, se disait d'Artagnan, et s’il a rencontré la reine.»
Un soir, neuf heures venaient de sonner. On entendit frapper à la porte de la rue ; aussitôt on ouvrit et on referma : quelqu’un venait de se faire prendre à la souricière.
D’Artagnan se coucha ventre à terre à l'endroit sans carreaux et écouta. Il y eut bientôt des cris, puis des gémissements. Pas d'interrogatoire pourtant.
«Diable! se dit d’Artagnan, il me semble que c’est une femme : on la fouille, elle résiste… on la brutalise. Ah les misérables!»
Il se retenait pour ne pas s'en mêler
«Mais je vous dis que je suis la maîtresse de la maison, messieurs ; je vous dis que je suis Mme Bonacieux, je vous dis que j’appartiens à la reine!» s’écriait la malheureuse femme.
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Un mouvement violent fit retentir toute la maison. La victime résistait autant qu’une femme peut résister à quatre hommes. Puis on n'entendit plus que des sons étouffés.
«Ils la bâillonnent, ils vont l’entraîner, s’écria d’Artagnan en se redressant comme sur un ressort. Planchet!
–Monsieur?
–Je descends par la fenêtre, s’écria d’Artagnan. Toi, remets les carreaux, balaie le plancher, et sauve-toi!
–Oh! monsieur, monsieur, vous allez vous tuer, s’écria Planchet.
–Tais-toi, imbécile, dit d’Artagnan.»
Et s’accrochant de la main au rebord de sa fenêtre, il se laissa tomber du premier étage, sans se faire une écorchure. Il alla aussitôt frapper à la porte en murmurant :
«Je vais me faire prendre dans la souricière. Mais malheur aux chats qui se frotteront à une souris comme moi.»
À peine avait il frappé que des pas s’approchèrent et la porte s’ouvrit. Alors sans une parole, d’Artagnan, l’épée nue, s’élança dans l’appartement de maître Bonacieux.
Les voisins les plus proches entendirent de grands cris, un cliquetis d’épées et un bruit de meubles. Un moment après, ceux qui s’étaient mis aux fenêtres virent la porte se rouvrir et quatre hommes vêtus de noir s’envoler comme des corbeaux. Ils laissaient par terre des plumes de leurs ailes, c’est-à-dire des morceaux de leurs habits.
D’Artagnan était vainqueur sans beaucoup de peine, il faut le dire, car un seul des hommes était armé. Les autres avaient essayé d’assommer le jeune homme avec les chaises, les tabourets ; mais deux ou trois égratignures faites par l'épée du Gascon les avaient épouvantés. Cela n'avait duré que dix minutes.
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Resté seul avec Mme Bonacieux, d'Artagnan se retourna vers elle : la pauvre femme était renversée sur un fauteuil et à demi évanouie. D’Artagnan l’examina d’un coup d’œil rapide.
C’était une charmante femme de vingt-trois à vingt-quatre ans, brune avec des yeux bleus, le nez légèrement retroussé, des dents admirables. Elle reprit conscience et regarda avec terreur autour d’elle. Elle vit que l’appartement était vide, et qu’elle était seule avec son libérateur. Elle lui tendit aussitôt les mains en souriant. Elle avait le plus charmant sourire du monde.
«Ah! monsieur! dit-elle, c’est vous qui m’avez sauvée ; permettez que je vous remercie.
–Madame, dit d’Artagnan, tout gentilhomme en aurait fait autant à ma place!
–Que me voulaient donc ces hommes? Pourquoi M. Bonacieux n’est-il point ici?
–Madame, ces hommes sont des agents de M. le cardinal. Quant à votre mari, on est venu le prendre hier pour le conduire à la Bastille.
–Mon mari à la Bastille! s’écria Mme Bonacieux, oh! mon Dieu! qu’a-t-il donc fait?
–Madame je crois que son seul crime est d’être votre mari.
–Monsieur, vous savez donc…
–Je sais surtout que vous-même, vous aviez été enlevée, madame… Mais comment êtes-vous donc libre à présent?
–J’ai profité d’un moment où l’on m’a laissée seule, et je savais depuis ce matin la raison de mon enlèvement… Comme je croyais mon mari ici, je suis accourue, pour le prévenir.»
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D'Artagnan n'insista pas. Mais il lui fit remarquer :
«Les hommes que j’ai mis en fuite vont revenir en nombre! S'ils nous retrouvent ici nous sommes perdus.
–Oui, oui, vous avez raison, s’écria Mme Bonacieux effrayée ; fuyons, sauvons-nous.»
À ces mots, elle passa son bras sous celui de d’Artagnan et l’entraîna vivement. Sans se donner la peine de refermer la porte, ils descendirent rapidement la rue et ne s’arrêtèrent qu’à la place Saint-Sulpice.
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«Et maintenant, qu’allons-nous faire, demanda d’Artagnan, et où voulez-vous que je vous conduise?
–Je ne sais que vous répondre, je vous l’avoue, dit Mme Bonacieux ; je voulais faire prévenir M. de Laporte par mon mari. M de Laporte est mon parrain, et le principal valet de la reine. Il pourrait nous dire précisément ce qui s’était passé au Louvre depuis trois jours, et s’il y a danger pour moi d'y revenir.
–Mais moi, dit d’Artagnan, je puis aller prévenir M. de Laporte.
–Oh! on ne vous laisserait pas passer …
–Ah, vous avez bien quelque mot de passe…»
Mme Bonacieux regarda fixement le jeune homme.
«Je ferai tout ce que je pourrai pour servir le roi et la reine, dit d’Artagnan … et vous-même!
–Mais moi, où irai-je pendant ce temps-là?
–N’avez-vous pas une personne chez qui votre parrain puisse revenir vous prendre?
–Non, je ne veux me fier à personne.
–Attendez, dit d’Artagnan ; nous sommes à la porte d’Athos. Oui, c’est cela.
–Qui est Athos?
–Un de mes amis.
Le petit appartement était vide : d'Artagnan prit la clef et y introduisit Mme Bonacieux.
«Vous êtes chez vous, dit-il ; attendez, fermez la porte en dedans et n’ouvrez à personne
–Mais si votre ami revient?
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–Il ne reviendra pas, si je lui dis que j’ai amené une femme, et que cette femme est chez lui.
–C’est bien, dit Mme Bonacieux ; maintenant, à mon tour de vous donner mes instructions.
–J’écoute.
–Présentez-vous au Louvre, du côté de la rue de l’Échelle, et demandez Germain. Vous lui direz ces deux mots : Tours et Bruxelles. Aussitôt il se mettra à vos ordres. Demandez-lui d'aller chercher M. de Laporte, le valet de chambre de la reine, et de me l'envoyer.
–Et moi, comment vous reverrai-je?
–Tenez-vous beaucoup à me revoir?
–Certainement. Donnez-moi votre parole!
–Vous l'avez, mon ami!»
D’Artagnan salua Mme Bonacieux en lui lançant le coup d’œil le plus amoureux qu’il lui fut possible. En deux bonds il fut au Louvre. Tout se déroula comme prévu. M de Laporte partit en courant.
Tout en réfléchissant à ses futures amours, d'Artagnan se trouva une heure plus tard dans le quartier d'Aramis et l’idée lui vint d’aller faire une visite à son ami. Onze heures sonnaient à toutes les horloges du faubourg Saint-Germain. C'est alors qu'il aperçut comme deux ombres enveloppées de manteaux. La femme avait l'allure de Mme Bonacieux, et l’homme portait l’uniforme des mousquetaires. Il ressemblait à Aramis.
Le sang et la colère montèrent au visage de d'Artagnan. Il les dépassa, puis revint sur eux au moment où ils se trouvaient près d'un réverbère.
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C'était bien Madame Bonacieux, mais pas Aramis.
«Ah, ce n’est pas lui! s’écria d'Artagnan
–Monsieur, à votre exclamation je vois que vous m’avez pris pour un autre, et je vous pardonne.
–Attendez dit d’Artagnan, ce n’est pas à vous que j’ai affaire, c’est à madame.»
Le mousquetaire avança de deux pas et écarta d’Artagnan avec la main. D’Artagnan fit un bond en arrière et tira son épée. En même temps et avec la rapidité de l’éclair, l’inconnu tira la sienne.
«Au nom du Ciel, Milord! s’écria Mme Bonacieux en se jetant entre les combattants et prenant les épées à pleines mains.
–Milord! s’écria d’Artagnan illuminé d’une idée subite, pardon, monsieur ; mais est-ce que vous seriez…
–Milord duc de Buckingham, dit Mme Bonacieux à demi voix ; et maintenant vous pouvez nous perdre tous.
–Pardon, cent fois pardon ; mais j'aime cette femme, Milord, j’étais jaloux ; pardonnez-moi, et dites-moi comment je puis vous servir.
–Vous êtes un brave jeune homme, dit Buckingham en tendant à d’Artagnan une main que celui-ci serra respectueusement. J'accepte vos services ; suivez-nous à vingt pas jusqu’au Louvre ; et si quelqu’un nous épie, tuez-le!»
Heureusement le jeune homme n’eut pas l'occasion d'intervenir, et le couple put entrer au Louvre sans avoir été inquiété…
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Accompagnée du duc, Mme Bonacieux poussa une petite porte qui céda ; tous deux entrèrent et se trouvèrent dans l’obscurité. Puis Mme Bonacieux entraîna le duc dans un appartement éclairé seulement par une lampe de nuit, en disant : «Restez ici, Milord duc, on va venir.»
Prisonnier de cette pièce, le duc de Buckingham n’avait pourtant aucune crainte. Il avait appris que le message de la reine était un piège, et pourtant il était venu quand même. Il voulait la voir! Resté seul, il s’approcha d’une glace. À trente-cinq ans, il était le plus beau gentilhomme, le plus élégant cavalier de France et d’Angleterre. Il avait réussi à s’approcher plusieurs fois de la belle et fière Anne d’Autriche, reine de France, et à s’en faire aimer, à force de l'éblouir.
À ce moment, une porte cachée dans la tapisserie s’ouvrit et une femme apparut. Buckingham jeta un cri, c’était la reine! Elle avait alors vingt-six ou vingt-sept ans, et se trouvait dans tout l’éclat de sa beauté. Sa démarche était celle d’une déesse ; ses yeux d’émeraude étaient tout à la fois pleins de douceur et de majesté.
Buckingham resta un instant ébloui ; jamais Anne ne lui était apparue aussi belle, vêtue d’une simple robe de satin blanc, accompagnée de sa servante espagnole. Buckingham se précipita à ses genoux, et baisa le bas de sa robe.
«Duc, vous savez que ce n’est pas moi qui vous ai écrit?
–Oh! oui, madame, oui, Votre Majesté, s’écria le duc ; je sais que j’ai été un fou… Mais quand on aime, on croit facilement à l’amour ; et je n’ai pas tout perdu à ce voyage, puisque je vous vois.
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–Oui, mais vous risquez votre vie! Vous le savez, tout nous sépare, la mer, la haine entre nos deux royaumes.... Alors je viens vous dire… qu’il ne faut plus nous voir.
–Et comment voulez-vous donc que je vive? Je n’ai que des souvenirs, moi. Ah la dernière fois, dans les jardins d’Amiens.
–Duc, dit-elle en rougissant, ne parlez pas de cette soirée.
–Vous étiez appuyée à mon bras, je sentais vos beaux cheveux effleurer mon visage… Cette nuit-là vous m’aimiez, je vous le jure.
–Oui, mais on a su notre rencontre! Le roi a fait un éclat terrible! Milord, Milord, toutes ces preuves d’amour que vous me donnez sont des crimes!
–Qu'importe si je sais qu'au fond de vous, vous m'aimez!
–Je vous aime, moi?
–Oui, vous. Et si je meurs lors de cette guerre qui se prépare, vous me pleurerez?
–Oh! mon Dieu! mon Dieu! Tenez, duc, au nom du Ciel, partez, retirez-vous. Si vous étiez frappé en France, si vous mouriez en France, j’en deviendrais folle. Partez donc, partez.
–Oh! que vous êtes belle ainsi! Oh! que je vous aime!
–Partez! partez! je vous en supplie, et revenez plus tard ; je crains trop pour votre vie.
–Donnez-moi alors une preuve de votre affection, quelque chose que vous ayez porté, une bague, un collier, une chaîne.
–Et partirez-vous si je vous donne ce que vous me demandez? Vous quitterez la France, vous retournerez en Angleterre?
–Oui, je vous le jure!
–Attendez, alors, attendez.»
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Anne d’Autriche rentra dans son appartement et en sortit presque aussitôt, tenant à la main un petit coffret en bois de rose tout incrusté d’or.
«Tenez, Milord duc, tenez, dit-elle, gardez cela en mémoire de moi.»
Buckingham prit le coffret et tomba une seconde fois à genoux.
«Vous m’aviez promis de partir, dit la reine.
–Et je tiens ma parole. Votre main, votre main, madame, et je pars.»
Anne d’Autriche tendit sa main en fermant les yeux et en s’appuyant de l’autre sur sa suivante Estefania, car elle sentait que les forces allaient lui manquer.
Debout devant la cheminée l'homme semblait réfléchir profondément. L'allure fière, les yeux perçants, la figure maigre ornée d’une paire de moustaches, ainsi apparaissait Armand-Jean Duplessis, cardinal de Richelieu.
Rochefort, l'homme à la cicatrice, entra alors, introduit par un valet.
«Ils se sont vus, dit-il en s’approchant vivement du cardinal.
–Qui? demanda Son Éminence.
–La reine et le duc, au Louvre.
–Qui vous l’a dit?
–Mme de Lannoy, qui vous est toute dévouée, comme vous le savez. Elle affirme que le duc et la reine sont restés trois quarts d'heure ensemble.»
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Un silence pesant s'établit. Puis Rochefort ajouta :
«Il y a autre chose!
–Quoi?
–Mme de Lannoy, vous le savez, est dame d’atour de la reine, et responsable des bijoux. Elle a cherché le coffret dans lequel la reine rangeait ses ferrets de diamant. Quand elle en a parlé à la reine, celle-ci est devenue toute rouge. Elle a répondu qu'elle les avait envoyés réparer chez son orfèvre.
–Il faut y passer et s’assurer si c'est vrai!
–J’y suis passé, dit Rochefort. L’orfèvre n’a entendu parler de rien.»
Le cardinal réfléchit, puis sourit.
«Bien! bien! Rochefort, tout n’est pas perdu, et peut-être… peut-être tout est-il pour le mieux! Et où est Buckingham?
–Sur la route de Boulogne, il va sans doute s'embarquer pour l'Angleterre. Quels sont les ordres de Votre Éminence?
–Il est trop tard pour le rattraper. Pas un mot de ce qui s’est passé ; que la reine ignore que nous savons son secret»
Le comte de Rochefort s’inclina et se retira.
Resté seul, le cardinal s’assit de nouveau, écrivit une lettre puis il sonna. Un officier entra.
«Faites-moi venir Vitray, dit-il, et dites-lui de s’apprêter pour un voyage.»
Un instant après, l’homme qu’il avait demandé était debout devant lui, tout botté et tout éperonné.
«Vitray, dit Richelieu, vous allez partir pour Londres. Vous ne vous arrêterez pas un instant en route. Vous remettrez cette lettre à Milady.»
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Le messager, sans répondre un seul mot, s’inclina, prit la lettre et sortit. Voici ce que contenait cette lettre :
« Milady,
Soyez au premier bal où se trouvera le duc de Buckingham. Il aura à son pourpoint douze ferrets de diamants, approchez-vous de lui et coupez-en deux.
Aussitôt que ces ferrets seront en votre possession, prévenez-moi.»
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«M. de Buckingham à Paris! s’écria le roi, et qu’y vient-il faire?
–Euh… je ne sais Votre Majesté
–Ah pardieu, bien sûr que vous le savez, Eminence! La reine…
–Oh! Sire, quelle idée! La reine est trop sage, et surtout elle aime trop Votre Majesté. Elle est mon ennemie, hélas ; mais elle n’est pas la vôtre, Sire! Au contraire, elle est épouse dévouée et soumise. Donnez-lui des preuves de votre attachement.
–Mais comment?
–Donnez un bal ; vous savez combien la reine aime la danse.
–Ah monsieur le cardinal, vous savez, ces divertissements officiels…
–Oui mais la reine les aime, elle vous remerciera… Et ce sera une occasion pour elle de mettre ces beaux ferrets de diamants que vous lui avez donnés l’autre jour à sa fête. Elle ne les a pas encore portés en public.»
Louis XIII fut surpris par ce détail. Il pensa que cette recommandation du cardinal cachait un mystère. Il alla donc trouver la reine et l’aborda avec gentillesse. Mais au bout de quelques instants, il lui fit comme d'habitude des menaces contre ceux qui l’entouraient, trop amis des Espagnols ou des Anglais. Anne d’Autriche baissa la tête, laissa s’écouler le discours sans répondre. Elle sentait pourtant que le roi avait autre chose en tête. ce détail. Il pensa que cette recommandation du cardinal cachait un mystère. Il alla donc trouver la reine et l’aborda avec gentillesse. Mais au bout de quelques instants, il lui fit comme d'habitude des menaces contre ceux qui l’entouraient, trop amis des Espagnols ou des Anglais. Anne d’Autriche baissa la tête, laissa s’écouler le discours sans répondre. Elle sentait pourtant que le roi avait autre chose en tête.
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«Sire, s’écria-t-elle enfin, vous ne me dites pas tout ce que vous avez dans le cœur. Qu’ai-je donc fait? Voyons, quel crime ai-je donc commis?»
Le roi, attaqué d’une manière si directe, ne sut que répondre ; il pensa que c’était là le moment de placer la proposition du cardinal.
«Madame, dit-il avec majesté, il y aura bientôt bal à l’hôtel de ville ; vous devez faire honneur à nos braves échevins. Vous y paraîtrez donc en habit de cérémonie. Vous serez parée des ferrets de diamants que je vous ai donnés pour votre fête. Voici ma réponse.»
Cette réponse était terrible. La reine crut que Louis XIII savait tout. Elle devint excessivement pâle. Elle regarda le roi avec des yeux épouvantés, et ne répondit rien.
«Vous entendez, madame, dit le roi?
–Oui, Sire, j’entends, balbutia la reine.
–Alors, c’est convenu, dit le roi, et voilà tout ce que j’avais à vous dire.
–Mais quel jour ce bal aura-t-il lieu? demanda Anne d’Autriche.»
Louis XIII sentit instinctivement qu’il ne devait pas répondre à cette question : la reine l’avait faite d’une voix presque mourante.
«Ma foi, je ne me rappelle plus précisément la date, je la demanderai au cardinal.
–C’est donc le cardinal qui vous a annoncé cette fête? s’écria la reine. C’est lui qui vous a dit de m’inviter à y paraître avec ces ferrets?
–Eh bien qu’importe que ce soit lui ou moi?
–C'est vrai, Sire.»
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«Je suis perdue, murmura la reine une fois le roi parti. Le cardinal sait tout, et c’est lui qui pousse le roi, qui saura tout bientôt. Je suis perdue! Mon Dieu! mon Dieu! mon Dieu!»
Elle s’agenouilla sur un coussin et pria, la tête enfoncée entre ses bras tremblants.
La situation était terrible. Buckingham était retourné à Londres. La reine était plus surveillée que jamais. Elle était sûre qu’une de ses femmes la trahissait, sans savoir dire laquelle. Elle n’avait personne à qui se fier. Elle éclata en sanglots.
«Puis-je vous aider, Majesté?» dit tout à coup une voix pleine de douceur et de pitié.»
La reine se retourna vivement. C'était la jolie Mme Bonacieux, occupée à ranger les robes et le linge lorsque le roi était entré ; elle n’avait pas pu sortir, et avait tout entendu.
–Vous! ô Ciel! vous! s’écria la reine. Je suis trahie de tous côtés, puis-je me fier à vous?
–Oh! madame! s’écria la jeune femme en tombant à genoux : sur mon âme, je suis prête à mourir pour Votre Majesté!»
Et après un silence …
«Eh bien, ces ferrets, continua-t-elle, il faut les ravoir.
–Oui, sans doute, s’écria la reine ; mais comment?
–Il faut envoyer quelqu’un au duc.
–Mais qui?… qui?… à qui me fier?
–Ayez confiance en moi, madame, ma reine, et je trouverai le messager, moi!
–Fais cela, s’écria-t-elle, et tu m’auras sauvé la vie, tu auras sauvé mon honneur!»
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Dix minutes après, Madame Bonacieux arrivait chez elle. Son mari était là : on l'avait emprisonné par erreur, et libéré avec une bourse pour le dédommager.
Les retrouvailles ne furent pas très chaudes. Un baiser sur le front et ce fut tout! Mariée à dix-huit ans à M. Bonacieux, elle était restée insensible à cet homme bien plus vieux qu'elle. Ce n'est pas à lui qu'elle demanderait de l'aide!
Elle repensa soudain à d'Artagnan : beau, jeune, aventureux et qui lui parlait d’amour! Il y avait de quoi tourner une tête de vingt-trois ans.
Une fois son mari parti, elle hésita un peu, mais dans l'urgence, elle se décida : elle frappa quelques coups au plafond. Une réponse lui arriva à travers le plancher :
«Oui, je suis ici chère Constance, ouvrez-moi la petite porte de l’allée, et je vais descendre.»
Aussitôt près d'elle, d'Artagnan osa lui prendre la main. Elle la retira vivement. Puis avec un sourire, elle la lui abandonna. Elle lui raconta la situation de la reine, le bal, les ferrets, les menaces du roi.
D'Artagnan écoutait sans comprendre pourquoi c'était à lui qu'elle confiait ces secrets d'Etat. Mais Constance poursuivit :
«La reine a maintenant besoin d'un homme brave, intelligent et dévoué. Il devra faire pour elle un voyage à Londres, et ramener ces bijoux. J'ai… enfin j'ai pensé à vous.»
Le Gascon n'eut pas une hésitation.
«Je me jetterai dans le feu pour vous! Et pour la reine! Dites, ordonnez : que faut-il faire? Je pars immédiatement!
39
Le jeune homme se rendit alors chez M. de Tréville.
D'Artagnan avait toute confiance en lui. Il lui raconta une partie de l'affaire, mais ne pouvait tout dire! Il lui expliqua surtout qu'il avait besoin de lui. On se rappelle que d'Artagnan, pas encore mousquetaire, appartenait à une autre compagnie de gardes.
–Je désire que vous obteniez pour moi, de M. des Essarts, un congé de quinze jours.
–Quand cela?
–Cette nuit même. Je vais en mission, à Londres.
–Quelqu’un veut-il vous empêcher d'arriver?
–Le cardinal, je le crois, donnerait tout au monde pour m’empêcher de réussir.
–Croyez-moi, continua Tréville, dans les affaires de ce genre, il faut être quatre pour arriver un. Demandez à vos trois amis de vous accompagner. Je leur donne dès maintenant le congé qu'il leur faut, à eux aussi.
Quand les compagnons furent réunis, il suffit à d'Artagnan de dire que l'honneur de la reine était en jeu. Tous étaient d'abord partants. Alors il précisa :
«Mais vous devez le savoir, nous n’arriverons pas tous à Londres.
- Et pourquoi cela?
- On essaiera de nous empêcher de passer… et quelques-uns d’entre nous resteront en route.»
40
À deux heures du matin, les quatre et leurs valets chevauchaient vers Calais.
Tant qu’il fit nuit, ils restèrent muets. Mais aux premiers rayons du jour, la gaieté revint : le cœur battait, les yeux riaient, ils étaient comme à la veille d'un combat.
Les valets suivaient, armés jusqu’aux dents.
D'Artagnan l'avait prévu : ils n'arrivèrent pas tous!
Porthos eut une "affaire" avec un gentilhomme partisan du cardinal. Aramis se prit de querelle avec un des cantonniers qui encombraient la route. Et Athos s'enivra dans une auberge.
Finalement, seuls d'Artagnan et son valet Planchet arrivèrent à Saint-Omer, pas loin de la côte.
Là, ils firent souffler les chevaux et mangèrent un morceau. Aux portes de Calais, le cheval de d’Artagnan s’abattit : le sang lui sortait par le nez et par les yeux. Restait celui de Planchet, mais il n’y avait plus moyen de le faire repartir. Heureusement, ils n'étaient qu'à cent pas de la ville ; ils laissèrent les deux montures sur le grand chemin et coururent au port.
Là, un bateau était prêt à partir ; cinq minutes après, ils étaient à bord. Il était temps : à une demi lieue en mer, d’Artagnan vit briller une lumière et entendit une détonation. C’était le coup de canon qui annonçait la fermeture du port, par ordre du cardinal
D’Artagnan était brisé de fatigue : on lui étendit un matelas sur le pont, il se jeta dessus et s’endormit.
41
À dix heures et demie, d’Artagnan posait le pied sur la terre d’Angleterre, en s’écriant :
«Enfin, m’y voilà!»
Ce n’était pas tout : il fallait gagner Londres. En Angleterre, le service de la poste était assez bien fait. D’Artagnan et Planchet prirent chacun un bidet, en quatre heures ils arrivèrent aux portes de la capitale.
D’Artagnan ne savait pas un mot d’anglais ; mais il écrivit le nom de Buckingham sur un papier, et chacun lui indiqua l’hôtel du duc. Le duc était à la chasse à Windsor, avec le roi d'Angleterre. Heureusement le valet de chambre, un nommé Patrice, parlait parfaitement français. D'Artagnan lui dit qu’il arrivait de Paris pour affaire de vie et de mort, qu’il fallait qu’il parle à son maître à l’instant même.
Patrice fit seller deux chevaux et se chargea de conduire le jeune français à Windsor.
On arrive au château ; là on se renseigne : le roi et Buckingham chassaient à l'oiseau dans des marais situés à deux ou trois lieues de là. En vingt minutes on est au lieu indiqué.
Buckingham reconnut d’Artagnan à l’instant même, et se doutant que quelque chose se passait en France, il accourut vers lui.
«Il n’est point arrivé malheur à la reine? s’écria Buckingham.
–Je ne crois pas ; mais elle court un grand péril. Vous seul pouvez l'en tirer, Votre Grâce!
–Moi? s’écria Buckingham. Parlez! parlez!
42
–Prenez cette lettre, dit d’Artagnan. Elle vient de Sa Majesté la reine, à ce que je pense.
–De Sa Majesté!» dit Buckingham, pâlissant si fort que d’Artagnan crut qu’il allait se trouver mal. Il dévora des yeux les quelques lignes.
«Juste Ciel! Patrice, va dire à Sa Majesté le roi qu’une affaire de la plus haute importance me rappelle à Londres. Puis reviens vite à mon hôtel. Venez, monsieur, venez.»
Tout le long de la route, d'Artagnan mit le duc au courant de ce qu'il savait. En quelques minutes ils furent aux portes de la ville. Et en quelques autres dans la cour de l’hôtel. Buckingham s’élança vers l'escalier.
Tous deux se trouvèrent alors dans une chapelle toute tapissée de soie et éclairée par un grand nombre de bougies. Au-dessus d’une espèce d’autel se trouvait un portrait représentant Anne d’Autriche. Et sur l’autel, au-dessous du portrait, le coffret qui renfermait les ferrets de diamants.
Le duc s’approcha de l’autel et ouvrit le coffret.
«Tenez, dit-il en tirant du coffre un gros nœud de ruban bleu tout étincelant de diamants. La reine me les avait donnés, la reine me les reprend : que sa volonté, comme celle de Dieu, soit faite en toutes choses.»
Puis il se mit à baiser les bijoux les uns après les autres. Tout à coup, il poussa un cri terrible.
«Qu’y a-t-il? demanda d’Artagnan avec inquiétude, que vous arrive-t-il, Milord?
–Il y a que tout est perdu, s’écria Buckingham en devenant pâle comme un mort ; deux de ces ferrets manquent, il n’y en a plus que dix.»
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Le duc resta un moment abattu, puis une idée soudaine le traversa
«On me les a volés, reprit-il, et c’est le cardinal qui a fait le coup. Tenez, voyez, les rubans ont été coupés avec des ciseaux.»
Nouveau silence, réflexion intense, puis…
«Attendez! La seule fois que j’ai mis ces ferrets, c’était au bal du roi, il y a huit jours, à Windsor. La comtesse de Winter, avec laquelle je suis fâché, s’est rapprochée de moi à ce bal. Or je sais que cette femme est un agent du cardinal.»
D'Artagnan ne comprenait pas grand-chose, sinon que tout était perdu en effet. Mais le duc poursuivait :
«Quand doit avoir lieu le bal à l'Hôtel de Ville?
–Lundi prochain.
Buckingham ordonna :
«Mon joaillier et mon secrétaire!»
Le secrétaire arriva dans le quart d'heure, et peu après, le bijoutier entrait. C’était un Irlandais extrêmement habile. Il gagnait cent mille livres par an rien qu'avec les commandes de Buckingham.
«Monsieur O’Reilly, lui dit le duc, voyez ces ferrets de diamants, et dites-moi combien il faudrait de jours pour faire deux ferrets comme ceux-là?
–Huit jours, Milord.
–Je les paierai trois mille pistoles la pièce, mais il me les faut après-demain. Et ils doivent être faits ici.
–Mais, Milord, il n’y a que moi qui puisse les exécuter pour qu’on ne voie pas la différence.
–C'est pourquoi mon cher monsieur O’Reilly, vous êtes mon prisonnier. Nommez-moi deux de vos ouvriers et faites une liste de vos outils, nous les ferons prendre.»
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Ce point réglé, le duc revint à d’Artagnan.
«Maintenant, mon jeune ami, dit-il, vous que désirez-vous?
–Un lit, répondit d’Artagnan »
Le surlendemain, à onze heures, les bijoux étaient achevés, parfaitement semblables aux anciens.
Aussitôt le duc fit appeler d’Artagnan.
«Tenez, lui dit-il, voilà les ferrets de diamants que vous êtes venu chercher. Tout ce qu'on pouvait faire, je l'ai fait.
–Soyez tranquille, Milord : je le dirai ; mais Votre Grâce me donne les ferrets sans la boîte?
–Elle vous embarrasserait. Vous direz à la reine que je la garde.
–Je ferai votre commission mot à mot, Milord.
–Allez au port, demandez le brick le Sund, remettez cette lettre au capitaine ; il vous fera traverser jusqu'au petit port de Saint-Valéry, où l'on ne vous attend pas. À l'auberge, vous demanderez l’hôte. Il vous donnera un cheval tout sellé et on vous dira le chemin à suivre.»
D’Artagnan salua le duc et se rendit vivement au port.
Après la traversée, tout se passa comme prévu à Saint Valéry. Là, il trouva une monture toute prête qui l'attendait.
Près de Rouen, il changea encore de cheval, et à neuf heures il entrait au grand galop dans la cour de l’hôtel de Tréville.
Il avait fait près de soixante lieues en douze heures.
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Le lendemain, on parlait partout dans Paris du bal que MM. les échevins de la ville donnaient au roi et à la reine. Depuis huit jours on se préparait à l’Hôtel de Ville pour cette soirée. Deux cents flambeaux de cire blanche étaient installés et vingt violonistes avaient été retenus.
À onze heures arriva le capitaine des gardes avec cinquante archers qui se postèrent aussitôt à différentes portes. À minuit on entendit de grands cris et de nombreuses acclamations : le roi s’avançait dans les rues qui conduisent du Louvre à l’Hôtel de Ville. Elles étaient toutes illuminées avec des lanternes de couleur.
Aussitôt MM. les échevins, précédés de six sergents tenant chacun un flambeau à la main, allèrent au-devant du roi. Ils lui firent leur compliment de bienvenue. Sa Majesté répondit en s’excusant de son retard dû aux affaires d'État. Chacun remarqua qu'il avait l’air préoccupé.
Une demi-heure après l’entrée du roi, de nouvelles acclamations retentirent : elles annonçaient l’arrivée de la reine. Comme le roi, elle avait l’air triste et surtout fatigué. Puis l’on vit apparaître la tête pâle du cardinal vêtu en cavalier espagnol. Ses yeux se fixèrent sur ceux de la reine, et un sourire de joie terrible passa sur ses lèvres : la reine n’avait pas ses ferrets de diamants.
La reine resta quelque temps à recevoir les compliments des messieurs de la ville et à répondre aux saluts des dames. Tout à coup, le roi apparut avec le cardinal à l’une des portes de la salle. Le cardinal lui parlait tout bas, et le roi était très pâle. Il s’approcha de la reine, et avec sévérité :
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«Madame, lui dit-il, pourquoi donc, s’il vous plaît, n’avez-vous point vos ferrets de diamants? Je vous avais demandé de les porter, vous le saviez!
- Sire, répondit la reine d’une voix altérée, au milieu de cette grande foule, j’ai craint qu’il ne leur arrive malheur.
–Et vous avez eu tort, madame! Si je vous ai fait ce cadeau, c’était pour le montrer. Je vous dis que vous avez eu tort.»
Et la voix du roi était tremblante de colère ; chacun regardait et écoutait avec étonnement, ne comprenant rien à ce qui se passait.
«Sire, dit la reine, je puis les envoyer chercher au Louvre. Ainsi vos désirs seront accomplis.
–Faites, madame, faites, et très vite : car dans une heure le ballet va commencer.»
La reine salua en signe d'obéissance et suivit les dames qui devaient la conduire à son cabinet.
Pendant que le roi se préparait, le cardinal eut le temps de lui montrer les deux ferrets volés à Londres par Milady. D'après lui, c'était bien la preuve que la reine les avait donnés à Buckingham, comme gage d'amour.
Une heure plus tard, le roi faisait pourtant bonne figure quand il se présenta dans la salle de bal en costume de chasse très élégant. Les autres seigneurs étaient habillés comme lui. Puis un cri d’admiration sortit de toutes les bouches : la reine apparaissait, à coup sûr comme la plus belle femme de France. Sa toilette de chasseresse lui allait à merveille ; elle avait un chapeau de feutre avec des plumes bleues, une jupe de satin bleu toute brodée d’argent. Sur son épaule gauche, les ferrets étincelaient. Ils étaient soutenus par un nœud de même couleur que les plumes et la jupe.
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Le roi tressaillit de joie et le cardinal de colère ; cependant, ils étaient loin de la reine, ils ne pouvaient compter les ferrets : en avait-elle dix ou douze? À ce moment, les violons sonnèrent le signal du ballet. Le roi s’avança vers Mme la Présidente, avec laquelle il devait danser, et Monsieur frère du roi s'approcha de la reine. On se mit en place, et le ballet commença.
Chaque fois que le roi passait près de la reine, il essayait de compter les ferrets. Une sueur froide couvrait le front du cardinal. Le ballet dura une heure et finit au milieu des applaudissements de toute la salle. Chacun reconduisit sa dame à sa place.
Le roi laissa pourtant la Présidente où elle se trouvait et s’avança vivement vers la reine.
«Je vous remercie, madame, d'avoir obéi à mes désirs. Mais je crois qu’il vous manque deux ferrets, pouvez-vous m'expliquer?
–Comment, Sire! s’écria la jeune reine, qui jouait la surprise. Je ne comprends pas, il y en avait bien douze n'est-ce pas? Comptez vous-même ajouta-t-elle avec un grand sourire.»
D'Artagnan était perdu dans la foule entassée à l’une des portes. Il regardait de là cette scène compréhensible seulement pour quatre personnes : le roi, la reine, le cardinal… et lui-même. Le roi parlait à Son Eminence à voix basse, mais avec colère semblait-il. Le cardinal avait perdu sa fierté habituelle, et les quelques personnes qui se tenaient près de lui avaient l'air ébahi.
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D'Artagnan s’apprêtait à se retirer, lorsqu’il sentit qu’on lui touchait légèrement l’épaule ; il se retourna, et vit une jeune femme qui lui faisait signe de la suivre. Elle avait le visage couvert d’un masque de velours noir, mais il reconnut à l’instant la fine et légère Mme Bonacieux.
La veille ils s’étaient à peine vus : la jeune femme avait eu hâte de porter à la reine l'excellente nouvelle du retour des diamants, et les deux amants avaient à peine échangé quelques paroles. D’Artagnan suivit donc Mme Bonacieux, poussé par un double sentiment : l’amour et la curiosité. Les corridors devenaient plus déserts. D’Artagnan voulait arrêter la jeune femme, la saisir, la contempler ; mais, vive comme un oiseau, elle glissait toujours entre ses mains. D'un seul coup, elle disparut!
D’Artagnan demeura un instant immobile, se demandant où il était. Bientôt une porte s'entrouvrit, un rayon de lumière pénétrait dans la chambre, un air chaud et parfumé arriva jusqu’à lui. Tout à coup une main et un bras adorables de forme et de blancheur passèrent à travers la tapisserie. D’Artagnan comprit que c’était sa récompense : il se jeta à genoux, saisit cette main et y appuya respectueusement ses lèvres. Puis la main se retira, et laissa dans les siennes un objet qu’il reconnut comme étant une bague ; aussitôt la porte se referma, et d’Artagnan se retrouva dans l'obscurité la plus complète.
Après quelques instants, la porte du cabinet où était d’Artagnan se rouvrit, et Mme Bonacieux réapparut, radieuse.
«Vous, enfin! s’écria d’Artagnan.»
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Le lendemain, d’Artagnan passa dans les maisons des trois amis. Il trouva une lettre pour Aramis qu'il emporta, mais pas d'autre trace. Il fallait récupérer les trois compagnons laissés sur la route d'Angleterre. Quelques heures plus tard, Planchet et d'Artagnan arrivaient à Chantilly sans accident. Ils descendirent à l’hôtel du Grand Saint Martin. C'est là qu'ils avaient laissé Porthos lors du voyage. D'Artagnan demanda de ses nouvelles
«Il nous a fait l’honneur de rester ici dit l’hôte. Mais nous sommes bien inquiets.
– Et de quoi?
– De certaines dépenses qu’il a faites.»
À Crèvecœur, d'Artagan retrouva Aramis avec des religieux. Ces derniers voulaient le faire devenir prêtre!
Il restait maintenant à avoir des nouvelles d’Athos. Aramis voulut accompagner d'Artagnan. Mais dès qu'il fut à cheval, après quelques tours de l'animal, il ressentit des douleurs tellement insupportables, qu’il fut obligé de regagner sa chambre.
Dix minutes plus tard, d’Artagnan trottait en direction d’Amiens, accompagné de Planchet.
Vers onze heures du matin, on aperçut Amiens et on atteignit la porte de l’auberge maudite.
– Où est Athos?
–Toujours dans la cave, monsieur, il refuse de sortir. Tous les jours, on lui passe par le soupirail du pain au bout d’une fourche, et de la viande quand il en demande.»
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D'Artagnan fut en deux pas à la porte de la cave. Il appela.
«Mon Dieu, s’écria Athos d'une voix creuse, j’entends d’Artagnan, il me semble.
–En effet, dit d’Artagnan en haussant la voix à son tour, c’est moi-même, mon ami.»
La porte ouverte, d’Artagnan se jeta à son cou et l’embrassa tendrement. Il voulut l’entraîner hors de ce séjour humide, alors il s’aperçut qu’Athos chancelait.
«Vous êtes blessé? lui dit-il.
–Moi! pas le moins du monde ; je suis ivre mort, voilà tout. Vive Dieu! Mon hôte, j’en ai bu au moins pour ma part cent cinquante bouteilles.»
Il fallut quand même payer les dégâts, le vin bu en abondance. D'Artagnan avait encore de l'argent, il paya. On reprit la route en passant par Crèvecoeur pour emmener Aramis, et l'on n'oublia pas Porthos à Chantilly. La fabuleuse équipe était reconstruite!
On regagna Paris dans la bonne humeur. Là, une lettre de M de Tréville annonçait la grande nouvelle : sur sa demande, le roi acceptait de faire entrer d'Artagnan dans les mousquetaires.
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